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31 janv. 2011

"Le vicomte a soulagé sa conscience, le mensonge est un pêché quand on est croyant"

COUR D'ASSISES DE L'HERAULT, LUNDI 31 JANVIER 2011, QUINZIEME AUDIENCE DU PROCES DES TROIS ACCUSES DE L'ASSASSINAT DE BERNADETTE BISSONNET, LE 11 MARS 2008 A CASTELNAU-LE-LEZ.

Toute une vie mise à nu, ainsi est la dure réalité des procès devant les cours d'assises, où finalement, on parle beaucoup des vivants jugés pour avoir commis l'irréparable, que des morts. De l'exemplaire existence de Bernadette Bissonnet jusqu'à son effroyable assassinat, il n'en est finalement que rarement question. Accusé de "complicité d'assassinat" et libre depuis le début du procès, le vicomte Amaury d'Harcourt, 85 ans, a d'abord raconté sa vie, avant que ses attitudes pendant l'instruction et durant les audiences ne soient analysées, décortiquées et critiquées bien sûr. Campé à la barre, vêtu d'un pantalon de velours marron, d'une chemise orangée et d'un polo vert, "le vieux" comme l'a surnommé Jean-Michel Bissonnet dans des écrits interceptés par les gendarmes, a détaillé une vie d'aventurier longtemps flamboyante, avant d'être sur le déclin. Il a 17 ans quand éclate la guerre de 1940 et il entre dans la résistance. "Les Allemands squattaient le château de la famille ancestrale, à Saint-Eusoge au sud-ouest de l'Yonne, je jouais du piano pour un officier, que je faisais boire. Et quand il était alcoolisé, il parlait beaucoup, il me donnait la position de certains groupes ennemis, ce qui me permettait de renseigner mes collègues de la résistance" raconte-t-il. A 19 ans, il intègre des commandos de choc : "Un jour, j'ai vu des collègues encerclés, ils allaient mourir, j'ai tué les huit Allemands, ça m'a traumatisé. J'ai été décoré pour ça". Courageux, c'est un des qualificatifs qui reviennent dans la bouche de ceux qui l'ont cotoyé, dont son neveu, le marquis Jean d'Harcourt, qui rejoint le portrait élogieux dressé par Catherine Jehl, l'enquêtrice de personnalité : attachant, affable, généreux, cultivé, très courtois. Son neveu précise : "C'est un homme bon, trop bon, trop serviable, fidèle en amitié et je crois qu'il l'a démontré en étant manipulé par M.Bissonnet". Mais Catherine Jehl nuance ce témoignage : "Amaury d'Harcourt est quelqu'un de naïf, il peut être narcissique et manipulateur aussi. Je pense également qu'il peut être influençable. Il est séduisant, parce qu'il est fantasque, on a l'impression qu'il vit dans un autre monde".
Les loups du Gévaudan
Après la guerre, fasciné par l'Afrique, le vicomte bourlingue au Sénégal, au Congo, au Cameroun, en Algérie, où, tour à tour, il crée une maison de disques, une usine de briques, où il est représentant en pastis, avant de revenir en France, dans le bercail de la noble famille d'Harcourt. Dans la propriété de Saint-Eusoge, il développe un élevage de sangliers, avant de descendre dans le sud, en Lozère où il installe le fameux parc des loups du Gévaudan, à Sainte-Lucie, près de Marvejols. Six ans après, l'aventure prend fin, le parc est racheté par le Conseil général de Lozère : "Ma femme se plaignait de ne plus me voir, je suis remonté dans l'Yonne". Le vicomte qui fait quelquefois dans l'humour évoque cette réputation qui lui colle à la peau : celle d'un coureur de jupons : "Je me suis marié trois fois, j'ai divorcé trois fois. Je n'ai jamais compté le nombre de mes conquêtes, on m'en prête beaucoup effectivement". Rires dans la salle. Un aventurier le vicomte d'Harcourt : pour l'association Invitation à la Vie (IVI), il s'est rendu en Australie, "où je suis devenu l'ami d'une tribu aborigène", en Nouvelle Zélande, à Tahiti, à New-York. "C'est un homme d'action, il a toujours été en perpétuel mouvement, il ne supporte pas la solitude, il recherche toujours la bonne compagnie" assure Catherine Jehl.
Aveux tardifs
C'est cette enquêtrice de personnalité qui recueillera les aveux tardifs du vicomte le 16 juillet 2008, alors que deux mois plus tôt, il avait seulement avoué aux gendarmes, puis aux juges avoir juste jeté l'arme du crime dans le Lez. Ce jour-là, Amaury d'Harcourt déballe tout : sa venue le soir des faits à la villa des Bissonnet, l'épisode dans le garage l'après-midi où Jean-Michel Bissonnet lui a remis le fusil de chasse, en présence de Méziane Belkacem, comment il lui a montré l'endroit où il fallait achever Bernadette Bissonnet, relatant que l'achat de la  veste polaire avec Bissonnet était un prétexte pour quitter le dîner de chez son ami, afin de venir récupérer le fusil de chasse dans la voiture de Mme Bissonnet, garée à 200 mètres de la villa de la Grenouillère. "Une terrible confession entrecoupée de longs silences. A la fin, j'ai alerté la substitut de permanence au parquet d'Auxerre, qui m'a conseillé de téléphoner aux juges d'instruction, à Montpellier. Puis, j'ai averti la fille de M.d'Harcourt" explique l'enquêtrice de personnalité. "Etait-ce votre rôle, madame d'informer un membre de la famille du vicomte dans une enquête criminelle sensible ?" interroge sèchement Raphaëlle Chalié, l'avocate des fils Bissonnet et qui oeuvre avec les trois avocats de la défense du mari. "Je ne vois pas où il peut y avoir un problème, j'ai alerté la fille de M.d'Harcourt, car il était seul dans son château et j'avais peur qu'il se suicide, il y avait des fusils de chasse" rétorque l'auxiliaire de justice.
Mémoire défaillante ?
Le président Joël Mocaer interroge Catherine Jehl sur ces aveux : "Je ne lui posais pas de questions sur les faits, les aveux sont venus petit à petit au cours d'une discussion entamée autour de son acte, je lui ai dit que je ne comprenais pas pourquoi un catholique ayant la foi pouvait accepter pareille implication dans un crime de sang. Je pense que j'ai pu entrer en résonance avec sa spiritualité, il est à la fin de sa vie, il est toujours profondément croyant et j'avais en face de moi, un homme au bout du rouleau attéré par ce qu'il avait fait, désireux de dire la vérité au nom de Bernadette Bissonnet qu'il aimait beaucoup. Le mensonge est un pêché, quand on est catholique pratiquant". Pourtant, de mensonges, il en est beaucoup question en fin de journée. Pour Me Chalié et les trois avocats de Jean-Michel Bissonnet, le vicomte Amaury d'Harcourt passe son temps à mentir : "en garde à vue, devant les juges d'instruction et ici depuis trois semaines. Il change sans cesse de versions, sur des détails importants, loin d'être anodins. Il ne dit pas la vérité, nous avons des doutes sur la réalité des faits". Corine Duong, la psychologue qui a examiné le vicomte l'explique par son état de santé fragilisé par un spectaculaire accident en 2006, sur l'autoroute A6 dans la forêt de Fontainebleau. Au moment où M.d'Harcourt arrivait en voiture, un cerf a bondi sur le capot. "Mon véhicule a été pulvérisé, c'est un miracle si je suis toujours en vie" se souvient le vicomte. Corine Duong assure que cet accident a laissé des séquelles morales et physiques : "Depuis, il marche péniblement et il a semble-t-il la mémoire défaillante". Les avocats de Jean-Michel Bissonnet parlent d'une mémoire sélective...
Jean-Marc Aubert

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